Raconter cette course sous la forme classique d’un compte-rendu de course n’a pas de sens. Ça n’est pas vraiment une course, c’est beaucoup plus que cela. C’est une aventure, une plongée dans l’inconnue, la rencontre avec une vieille dame. Alors, les histoires de pression de pneus, de réglage de suspension ou autres intempéries deviennent futiles ici. Ce qui compte c’est se présenter devant le starter et ouvrir au maximum de ce que le courage et l’instinct nous autorise à donner pendant les 60 kms du tracé. 

Les chiens ne font pas des chats

Avec un père féru de sport mécanique, difficile en étant petit garçon de passer à côté de tout cela. Alors forcément, le minot que j’étais était en admiration du père et dès lors, les rêves étaient teintés de victoires prestigieuses. Et quand on rêve, on rêve à ce qu’il y a de plus beau. Pendant que d’autres rêvaient de devenir pilote de ligne, coiffeuse, infirmière, pompier, moi, c’était pilote moto version courses de prestige. A moi les 24H du Mans, le moto GP et le Tourist Trophy...

Voyage au pays des rêves

Un courrier presque inattendu arrive le 11 Juin 2014 : Je suis retenu pour le Manx GP. Le Manx GP ? C’est tout simplement la version pour pilote amateur du Tourist Trophy.

Fort de son succès, les 2 épreuves se sont scindées en deux dates différentes pour accueillir l’ensemble des compétiteurs. Il y a aussi le Classic TT qui concerne les motos anciennes.

Depuis peu le Manx GP et le Classic TT font calendrier commun : Le mois d’Août. Manx : Tout simplement le nom originel de l’ile en gaélique.

Après ces détails historiques place à la préparation de la course.  Comme elle est arrivée de façon presque inespérée, il faut s’affranchir des démarches administratives nombreuses et en anglais J et surtout boucler le budget. Cela coûte cher, très cher même. Rien à voir avec une course de Promosport le temps d’un week-end. Une première estimation m’amène à un budget d’au moins 3000 € Ouille !!!! Pas grave, on va y arriver, s’il le faut j’irai à la nage avec la moto sur le dos .

Onmet en place une cagnotte, on cherche des sponsors et très vite je me rends compte de l’engouement exceptionnel de cette course mythique. Petit à petit le budget arrive. Incroyable. Une réalité s’impose, ce ne sera pas ma course mais celle de toutes les personnes qui m’apportent leur soutien.

Côtééquipe, la même chose. Rapidement Anthony alias P’tit Dep et Gaëtan  m’assurent de leur présence sur place pendant les 2 semaines qu’impose le programme. Plus tard ce sera autour d’Alexandra et Stéphane de faire de même puis Tonio (Anthony) et Sylvain pour le temps du WE de course.

La fine équipe !

JR Billaga, le pilote

Gaetan le mécano

P'tit dep le charpentier

Stéphane, le Marquez de la vidéo

Moi à la fois cuisto, maman qui donne des coups de pieds au fesses et dans la com internet...

 

Avant cela, mise en place de toute l’organisation et départ de la maison le 13 Août à 11h00 direction Calais après avoir embrassé maman une dernière fois.

Petit détail, le camion est un peu plus petit que prévu et donc une remorque additionnelle va être attelée.

Probablement un défaut d’optimisme mais cette foutue remorque change la donne. Les dockers du port d’Heysham refusent l’embarquement pour cause de longueur supérieure à la réservation. Le doute s’installe, les bateaux sont pleins… Un vrai moment d’angoisse s’installe.  Tout s’écroule. Coincé sur ce port désert… Heureusement, comme une libération après 22h d’attente sur place, on embarque, il était temps quelques avant l’heure limite d’arrivée sur place pour les formalités administratives.

Cela aurait été trop simple… Lors du déchargement, on se rend compte que les croisillons du beau barnum prêté pour l’occasion par Stéphane (Merci) sont manquants. Pas de panique, système D, une négociation à la bretonne et on se met en route pour la construction du barnum le plus improbable du paddock. Grand succès, beaucoup rigolent puis restent finalement admiratifs devant la qualité de la construction. On a juste regretté après coup de ne pas avoir installé un plancher et carrément un étage. Là, cela aurait été la classe :-)

Premiers tours & le doute

Dès le briefing, le ton est donné. Humilité, pas de honte à abandonner, ne pas forcer le pilotage, sécurité, sécurité, sécurité.

Samedi 16 Août premier roulage derrière les Marshall.

Ces pilotes expérimentés ouvrent la route. Alors que, eux, aux guidons de motos de route, semblent adopter une allure balade dominicale, tout le monde cravache derrière. Des malades, qu’est-ce que cela va vite !!! Leur faire confiance et la seule solution pour suivre le rythme.

Ouf, j’ai suivi. Le rythme ? Personne ne sait, la base de chrono pour les qualifs, plus vite, moins vite ?

Quel pied, le paysage qui défilent à toute allure, le souffle coupé dans les premiers lacés de la montagne. La prise d’altitude est rapide, inhabituelle. Longues lignes droites, virages en aveugle, plaques d’égouts, virages en épingle, sauts, revêtement ‘pourri’ et asphalte parfait se succèdent.

Une réalité : il va falloir répéter, reconnaitre encore et encore le parcours. Ce sera la mission quotidienne: le matin roulage en camion ou aux guidons du Diavel de P’tit Dep ou du K16 de Stéphane et Alexandra. Pas grand à voir avec ma moto de course. Rapidement aussi, je me rends compte que ma moto pure stock (à l’exception de la ligne d’échappement prêtée par François) sera un handicap. Mais peu importe, il y a tellement à faire au niveau pilotage.

 

Au fur et à mesure des roulages, le créneau descend, la qualif n’est pas un problème. C’est le cas pour tout le monde à priori.

Gros coup de doute tout de même le mardi soir. Julien Toniutti le super sympa officiel Yamaha vient comme souvent à notre campement. Plein d’enthousiasmes, il raconte son tour, ses sensations en récitant chaque virage, chaque trottoir… Moi, à part dire que c’est le circuit de l’ile de man, je me rends compte que j’ai une grosse lacune de mémorisation. Malgré les tours et les tours, je ne mémorise pas assez vite, je roule quasi en aveugle.

Gros doute, changement de méthode.  Je file me coucher avec le PC, je passe et repasse en boucle les premières images de roulage. On roulera ensuite beaucoup avec Julien, Fabrice Miguet (Alias MIG) et Marc Dufour (un ancien du TT). C’est super, tout le monde aide tout le monde. Pas de petits secrets, de l’entraide.

Difficile aussi, d’entendre parler et de voir des sorties de route. Nous n’en avons pas parlé sur place mais nous avons appris un décès. Grosse frayeur du clan français lorsque nous avons appris la sortie de route de Fred Besnard, newcomer comme moi. Et surtout, on ne sait pas. Il est question de perte de connaissance, d’hélicoptère, d’hôpital.. Gros soulagement le lendemain matin, les nouvelles sont bonnes. Pas de fracture. Encore mieux un peu plus tard lorsque Fred revient parmi nous en pleine forme, juste profondément déçu que la fête s’arrête précipitamment : Interdiction des médecins de reprendre le guidon.

109

Les chronos continuent de descendre. Finalement un chrono de 20’47 clôturera ma semaine, énorme satisfaction personnelle et pour l’équipe. 8ème temps, et je sens qu’il y a de la marge. Descendre sous les 20’, pourquoi pas en course et toujours sans forcer le pilotage.

Ah oui, c’est étrange, les pilotes aguerris ne parlent pas en chrono mais en moyenne au tour.

Pour moi ce sera 109 !! Comprenez 109 MPH de moyenne au tour soit 175 km/h.

Même si les britanniques sont en toutes circonstances très polis, je sens que ce fameux ‘109’ commence à devenir intéressant.

Rienà voir pour autant avec les ‘125’ et plus des Mc Guinness et autres M Dunlop que l’on croise très naturellement dans le paddock. Pas de pilotes stars, la star ici c’est la vielle dame et ses 264 virages. Seuls la taille et le luxe de leur camping-car XXL trahissent la notoriété. Moment de gamins, nous sommes allés à la rencontre de John McGuinness quasi voisin de paddock pour un autographe. A l’appel de sa femme, John est sorti de son motor-home, tout simple en chausson, sûrement en train de faire la sieste comme tout le monde. Il a même sorti le crayon blanc qui allait bien pour signer le superbe casque que p’tit Dep s’est offert sur place. Rien à dire, ce sont des messieurs. Respect.

La course qui se fait attendre

Les jours passent, la météo est changeante. Superbe météo (toujours fraiche tout de même) alterne avec climat limite tempétueux. Prévisions toujours incertaines. Parait que c’est normal, limite météo exceptionnelle pour la saison !

Le dimanche, c’est trêve ici. Alors celui qui précède la course est l’occasion de refaire une beauté à la moto. Pas de mécanique, la moto provenant de City Bike est nickel, tout juste des impacts de gravillons mais rien comparé à certains qui reviennent aux stands avec les têtes de fourche éclatées par les impacts.  Arrivée de Tonio et Sylvain le Dimanche, nous sommes au complet.

Les prévisions sont moyennes pour le lendemain, jour de course. On va se coucher sous la pluie et les rafales de vents.

Au réveil, toujours beaucoup de vent. Les premières motos (catégorie classique) commencent à chauffer dans le paddock. Vers 09h00 une première annonce, fort risque de report des courses de l’après-midi, notamment celle des newcomer. ½ heure plus tard, c’est finalement l’annulation de toutes les courses du jour. Visibilité nulle dans la montagne..

Alors on ira visiter le musée de Douglas, se balader, boire une bière. Briefing général avec MIG, il est question de ravitaillement. La course ne se gagne pas dans les stands mais de précieuses secondes peuvent se perdre.  Déjà une semaine et demie que nous sommes là, le temps commence à être long.

We did it !

Ca y est, c’est la bonne. La course aura lieu le Mardi. Grand beau temps, conditions idéales. Compression du planning oblige, la course sera de 3 tours au lieu de 4. Chacun essaie d’élaborer une stratégie ad-hoc, mais bon à la fin de la fin, l’évidence est que cela se jouera sur la piste.

Les premières courses s’enchainent, on observe les ravitaillements, on se répartie les tâches. Les mots deviennent plus rares, les passages aux toilettes plus fréquents. La course c’est la course. Le temps se fige, qu’elles sont longues les heures, les minutes avant le top départ du commissaire.

Et puis voilà, comme tous les jours, 45 mn avant le top départ, le rythme s’accélèrent. La moto a comme tous les jours passé les vérifications techniques sans encombre, Tonio, P’tit Dep et Gaétan accèdent à leur point de ravitaillement, font le plein. Ca y est nous sommes appelés à rejoindre la ligne de départ. Changement de numéro. Sans arriver à un ordre de départ à 100% fidèle aux chronos, je prends le numéro 22.

Les gradins sont pleins, le speaker donne de la voix, les inconditionnels écoutent « Radio manx GP », le grand tableau en bois reprend du service. Le temps de tous les concurrents par tour sont inscrits à la main. C’est magique.

Derniers conseils de MIG, faute d’expérience, on n’a pas trop bien gérer la chauffe des pneus (on aurait dû remettre les chauffantes sur la grille de départ après le parc fermé).  Pneu neuf, ça va donner.

18h30. A la seconde prête, le premier top est donné.  Sylvain quitte la grille de départ. Trop stressé, je l’apprendrai plus tard.

18h32, une tape sur l’épaule par le starter, à moi de jouer ou plutôt de donner du gazz.

3ème virage,  la moto se dérobe, grosse frayeur, du coup la confiance en prend un coup. Les pneus sont plus larges, la moto bouge plus que d’habitude.. Serrer les dents, ne pas commettre de faute. Sur ma route, personne, je roule en solo quasi tout le temps.  Pas de panneautage, je ne sais pas trop où j’en suis.  Je me crache dans les mains, fin du second tour : ravitaillement, pas de problème, je sais que Tonio, P’tit Dep etGaétan seront prêts. C’est le cas, tout se passe nickel.

Je repars pour le 3ème et dernier tour. Là, je me fais violence. Enfin, au bout d’une heure de course le drapeau à damier.

Quel pied. Tout le monde se félicite, les yeux pétillent. Le classement ? On s’en fout. On l’a fait, c’est tout ce qui compte.  Morgan, Julien, Martial et moi-même engagés en Newcomer A partageons la même joie teintée de fierté. On pense aussi à Fred qui a préféré quitter le paddock le samedi précédent. Il reviendra l’an prochain.

Heureux, heureux comme un gosse qui vient de vivre son rêve. Heureux aussi de voir depuis toutes ces semaines les messages, les commentaires affluer sur la page Facebook.

Il faut plier, tout remballer. Terriblement envie de rester sur place et terriblement envie de rentrer aussi, retrouver les miens.

 

Les vidéos :

Le voyage, l'installation

http://www.dailymotion.com/video/x241rbm_bad-trip-good-trip_auto

1e minute derrière le marshall

https://www.youtube.com/watch?v=7Y0iZwPbb0Y

Passage rapide et montagne

https://www.youtube.com/watch?v=Y5dbg7gff-g

tour chrono 20'47''

https://www.youtube.com/watch?v=IgeSlojnyN8

ravitaillement

https://www.youtube.com/watch?v=CYh0mav8Zpc

Clap de fin

https://www.youtube.com/watch?v=qMVnTZXFFi0